Sep. 21, 2009

« On verra demain »

Hoy no se fia, mañana si (Espagne)

Une production d’Izaba Films et de Muxika en coproduction avec Fair Films, ETB. (Ventes internationales : Izaba Films/Muxika, Madrid.) Produit par Élisabeth Perello-Santandreu et Francisco Avizanda. Réalisation et scénario Francisco Avizanda.

Avec : Carolina Bona, Jesus Noguero, Albert Prat, Alfonso Torregrosa, Jose Maria Asin, Carmen Leon,Carmen San Esteban. (Version originale espagnole)


Par RONNIE SCHEIB


Brillant début de Francisco Avizanda avec son film « On verra demain ». Situé en Espagne en 1953, il explore le vaste réseau d’espions et d’indicateurs déployés sous Franco en vue d’effacer l’ombre de toute dissidence. À la différence de « La vie des autres » qui s’occupait d’un professionnel du renseignement, « On verra demain » s’attache à un amateur – la jeune et jolie dactylo d’une radio, une parmi les milliers d’autres qui trahirent leurs concitoyens pour Dieu, leur patrie, de l’avancement ou leur simple survie. Jouée par une Carolina Bona opaque à donner froid dans le dos, Gilda représente le plus pur produit de l’État fasciste. Il s’agit d’un film austère qui aura besoin d’un fort appui de la critique pour atteindre un public plus large.


Orpheline élevée par l’Église et l’État pour obéir sans poser de questions, si ce n’est avec cynisme, Gilda passe ses loisirs à écouter aux portes et à remarquer ce qui échappe aux gens dans les conversations, toujours prête à donner des noms à son « oncle » le commissaire de police. (Les allusions aux abus sexuels auxquels ont pu la soumettre policiers et cardinaux dans son enfance semblent moins horribles que le fait que Gilda les accepte avec totale résignation).


L’ambition de Gilda est simple et elle s’y agrippe avec l’obstination des dépossédés : obtenir un poste de speakerine à l’organe de propagande qu’est la radio catholique où elle travaille sans relâche comme dactylo. Avizanda filme souvent des premiers plans de son héroïne, mais ce joli masque qu’elle a pour visage – Bressonien sans l’âme – va au-delà de la simple interprétation ; non pas qu’elle cache adroitement ses sentiments, mais parce qu’elle semble manquer de toute vie intérieure. Il est difficile d’éprouver quelque empathie alors même qu’elle est exploitée, étant donné qu’elle ne montre aucune empathie vis-à-vis des autres.


Le génie d’Avizanda réside dans son habileté à dépeindre Gilda (la référence à Rita Hayworth et aux films noirs est délibérée) en tant que monstre et victime à la fois. Les myriades d’échanges qu’elle établit avec les autres deviennent des rapports de force de natures diverses comportant des enjeux très variés. La complicité familière de sa concierge n’est pas comparable au chantage glacé de Gilda, et même le grand manipulateur franquiste sous-estime l’implacabilité de son joli pion.


La photo de Jon D. Dominguez d’une architecture madrilène pesante, grandiose et creuse à la fois sied parfaitement à l’impénétrable Gilda. Quand à la bande sonore, les pasodobles de l’époque marquent le rythme d’une collectivité sans joie. Mais plus que sa vision générale de l’Espagne franquiste, ce qui est incomparable c’est la poigne assurée avec laquelle Avizanda nous dévoile son inoubliable héroïne.


Photo (couleur), Jon D. Dominguez; montage, Santos Salinas; musique, Goran Kajfes, David Österberg; décoration, Idoia Esteban; costumes, Juana Buendia; son (Dolby digital), Imanol Lopez, Ivan Mayoral; montage du son, Pedro Barbadillo. Vu au Festival des Films du Monde de Montréal (compétition mondiale), 2 septembre.

2009. Durée : 118 MIN.