Les Fiches du cinéma . Octobre 2010

 


Les Fiches du Cinéma

«On verra demain (à l’ombre de Franco)»


Un film cathartique par lequel l’Espagne se penche sur les noirs méandres du régime franquiste dans les années 50. Porté par une héroïne à la Buñuel, ce film sombre, pervers, troublant et sensuel porte et emporte par son courage et la maitrise de sa narration.


Résumé

En 1953 à Madrid, Gilda Novás, jeune orpheline de 20 ans, élevée par une confrérie ultra catholique à laquelle elle appartient toujours, travaille assidument comme dactylo dans une radio tout en servant d’indicateur à la police. Elle vit seule, désargentée, dans une chambre sordide, sous l’oeil de sa concierge. Comme cette dernière, elle intrigue, épie, écoute aux portes, donne les opposants, mène un jeu cruel tout en poursuivant l’ambition farouche de ceux qui n’ont rien : passer sur les ondes. Son chef de service, Cisco, auquel elle plait et qui est militant du parti communiste clandestin, la soutient dans ce projet.  Alors qu’elle poursuit ses activités peu reluisantes, elle fait la connaissance d’un jeune psychiatre, Estanis Veracruz, hostile au régime, dont elle tombe amoureuse et auquel elle se donne. En Gilda commence à émerger une conscience politique.


Commentaire

Premier travail de fiction du documentariste espagnol Francisco Avizanda, on verra demain -qui jouit étrangement en français d’un deuxième titre jugé sans doute plus explicatif (à l’ombre de Franco)- est un exigeant projet de cinéma et une courageux récupération de la mémoire historique. L’Espagne traverse depuis 2006 une période de très vives controverses sur l’approbation de la Loi pour que soient reconnus et étendus les droits et que soient établis des moyens en faveur de ceux qui ont souffert de persécution ou de violence durant la Guerre civile et la Dictature. Depuis, le traitement juridique de l’héritage du franquisme ne cesse d’être au centre des discussions politiques en Espagne, et ce film, retenu et maitrisé, y apporte sa pierre en ne faisant l’économie d’aucune des ignominies du régime : emprisonnement, torture et meurtre des opposants, enlèvement de leurs enfants, mensonges d’Etat.


Images d’un régime bigot et manipulateur, hanté de persécuteurs et de délateurs, tels Gilda, superbement interprétée par Carolina Bona, cette figure féminine est à la fois sacrifiée et perverse, victime et supplétif des bourreaux.  Elle saura à son heure utiliser le système pour nourrir ses intérêts.


Aujourd’hui, solide démocratie au coeur de l’Europe, l’Espagne entame un travail de catharsis auprès des victimes de son histoire car, contrairement à l'Allemagne nazie, l'Afrique du Sud ou encore l'Argentine, elle ne s’y était pas encore attelée.

Ne doutons pas que ce film, grave et beau, implacable et sans complaisance, loin de rouvrir les blessures du passé et d’en réveiller les fantômes y contribue avec dignité.


Nathalie ZIMRA